PAUVRE BERNADETTE ! QUE DE FABLES EN TON NOM !

 

Dans un ouvrage sur l’histoire de Lourdes, intitulé Les Mirages de Lourdes, 150 ans de mystifications (éd. Alphée : 2008), l’historien des religions Jean de Levat relate le calvaire de Bernadette Soubirous, de la relation de ses soi-disant apparitions jusqu’à sa mort tragique dans un couvent de Nevers où elle fut véritablement sequestrée et maltraitée loin des siens. Les lignes qui suivent sont une compilation de son long récit de 214 pages. 1868 : dans une « grotte » jouxtant le Gave, une jeune bergère de 13 ans hallucine une chose qu’elle nomme en patois bigourdan « Aquéro » (« cela »). L’abbé Peyramale, prêtre à lourdes, protecteur de la pauvre famille Soubirous est adepte depuis sa promulgation en 1854 du dogme de L’immaculée Conception. Lui, qui ne mettra jamais les pieds à la grotte et des bigotes extorquent à Bernadette le mot « Vierge Marie » et ses visions deviennent des « apparitions ». Ce prêtre lui fera plus tard « révéler » que la « chose » lui aurait affirmé en patois bigourdan et au subjonctif (!) être l’Immaculée Conception, validant ainsi le dogme difficileà faire avaler en un siècle scientiste.

De nombreux curieux alertés par la presse locale puis nationale se saisissent du phénomène, lequel bizarrement avait été « annoncé » l’année précédente. Une pure coïncidence ! Le baron Massy est, à Tarbes, le Préfet de l’Empire et le responsable du maintien de l’ordre, catholique plus que fervent, Commandeur de l’Ordre de St Grégoire le Grand, il craint que les dires arrachés à la bergère, pourraient s’avérer une superstition déshonnorante pour l’Eglise. Il écrit au maire de Lourdes pour la faire examiner par trois médecins, eux-mêmes catholiques, les docteurs Balencie, Lacrampe et Peyrus. Procès verbal dans ses parties essentielles (p. 47) : « …cette enfant est d’une nature impressionnable, elle a pu être victime d’hallucinations ; un reflet de lumière a sans doute frappé son attention du côté de la Grotte ; son imagination sous l’influence d’une prédisposition morale, a donné à ce reflet une forme qui frappe les enfants, celle des statues de la Sainte Vierge qu’on remarque sur les autels… ». Le préfet interdit l’accès à la grotte mais le curé de Lourdes ameute la population catholique qui finit par se se plaindre auprès de Napoléon III en villégiature à Biarritz. L’empereur télégraphie pour lui faire enlever les barrages de la grotte (p. 48), validant ainsi les prétendues apparitions. A lire également Mes Voyages à Lourdes et à Rome, d’Emile Zola (1892) où le grand auteur, après enquête, décrit Bernadette comme « …une fillette de quatorze ans, ravagée par un asthme… une dégénére à coup sûr, une irrégulière de l’hystérie » (elle n’est pas de celles qu’on traite alors à la Salpétrière). On peut, en lisant cette phrase, critiquer le style de l’écrivain mais Zola dans son enquête, comme le souligne Jean de Levat, reste très respecteux quant cette humble bergère mais condamne sans appel les manipulations dont elle a été victime (pp. 52-53). Bernadette est morte dans l’humilation et la souffrance dans un couvent de Nevers en 1879. L’église catholique, apostolique et romaine lui doit bien une canonisation !

Les photographies prises à Lourdes au cours de nombreux reportages entre 1990 et 1993 montrent des situations où les gestes de la piété religieuse se dispute aux profanes, frisant parfois le comique (cf. « Plein Ciel »). Une image intitulée « Un scandale » montre un enfant poly-handicapé, le visage révulsé dans une grimace, sanglé dans une poussette en plein cagnard (une torture), les parents pique-niquant en retrait. En pleine enquête sur les « mirages » de Lourdes, je me rendis au « bureau médical » et demandais à être reçu par un responsable. Une dame se présenta et je lui décrivis ce que j’avais vu sur la prairie en lui faisant part de mon étonnement : « Je veux bien croire, lui dis-je, que la prière telle une psychothérapie fasse des miracles, mais dans ce cas, cet enfant sanglé dans sa poussette, à demi-inconscient, est incapable de prier ! Comment peut-on encourager une telle situation ? ». La dame m’asséna : « Dans la religion catholique, c’est Dieu qui fait les miracles et non la prière ! Vous êtes protestant monsieur ? « . « Non madame, mais je proteste contre la torture infligée à cet enfant par ses parents au nom de votre religion et puisque la prière serait inefficace à provoquer des miracles, pourquoi tant de rosaires et d’Ave Maria ? ». Elle tourna les talons et disparut.

Mes images montrent des postures ostentatoires, ce que je nomme dans ces cas précis la comédie de la prière. Une d’entre elles montre un homme mûr poussant une chaise roulante repliée sur laquelle est inscrit « DAMONTE CATERINA, morta a Lourdes, 17/9/77″. D’une année sur l’autre j’offrais au Recteur des Sanctuaires, le Père Bordes, de beaux tirages d’images prises l’année précédente. Cet homme sympathique me dit avec un fort accent bigourdan : « Monsieur Carhaix, cela fait trente ans que je suis à Lourdes, je n’ai jamais vu de telles situations… ». Je lui répondis : « Sans vouloir vous offenser, c’est peut-être parce que vous voyez Lourdes d’en haut, moi je la photographie d’en bas… ». Ma réponse le fit sourire. Il me permit de photographier les « piscines » une fois fermées aux malades.

Les marchands du temple en ville et ceux de l’église sur l’esplanade propèrent en vendant des gadgets d’un mauvais goût extrême. Pauvres figures de Marie et de Bernadette ! Les cierges ne brûlent même pas jusqu’au bout, ils sont enlevés et recyclés rapidement.

Il m’a été très difficile de séléctionner parmi les centaines de photographies, celles qui figurent sur ce site. Le pélérinage militaire en juin se partage entre l’eau de la source et la bière… et le sabre cotoie le goupillon comme pendant des siècles… Tous les récipients sont bons pour être remplis d’une eau soit-disant miraculeuse mais, reconnaissons*le, qui est toujours fraîche sous le cagnard estival.

De ce lieu d’une architecture d’un kitch fatal, face à autant de ferveur balançant entre un côté bon-enfant et une ostentation frisant l’obscénité, j’ai tiré une leçon de vie ou de survie, si l’on peut dire : une communauté de la souffrance se réunit en pélérinage une fois par an. Certains malades isolés le reste de l’année dans leur famille ou dans un hôpital se rendent compte qu’ils ne sont pas seuls et partagent compassion et espoir de guérir. Le reste est un mirage qui rapporte gros à l’église et ce, depuis les premiers dires de Bernadette, qui doit-on le rappeler ne paie pas d’impôts sur ses revenus !