VANITE DE L’ENFANCE, ENFANTS ET VANITES, 2009-2011
Ce texte constitue une tentative d’explication de cette nouvelle série photographique, le raisonnement ne décrivant pas les intuitions donnant lieu à des improvisations dans l’ici et le maintenant des prises de vues ainsi que les relations implicites de mes images avec des œuvres du passé. Ne prétendant pas tout comprendre de mes propres images, je laisse aux critiques, le soin d’y voir autre chose…
Des enfants posent devant mon appareil photographique. Ils ont entre 3 et 12 ans et manipulent des restes humains : des crânes, une colonne vertébrale, un ou deux fémurs, une ou deux mains, un pied. Leurs parents ont accepté la thématique et signé un protocole les impliquant dans l’assistance aux prises de vues. Parents, il est vrai, artistes ou galeristes. Certains croient peut-être en la vie éternelle et à la résurrection des corps et d’autres n’y croient pas : je n’ai pas posé la question en leur exposant le projet. L’accord a été immédiat, spontané, d’une grande générosité et ils accompagnent l’artiste et ses modèles dans le processus de création !
Mes travaux photographiques depuis 1981, imprégnés de la représentation de la Mort attestaient de mon sérieux… sens de l’humour, un humour macabre ! Dans la série The Sisters of Perpetual Indulgence (1981-1983 : reportages / 1983-1996 : mises en scène) j’abordais la relation d’Eros et Thanatos au temps du Sida. Dans la série Danses macabres, Trophées et autres Vanités (1992-1993) je brodais des variations sur des crânes et des squelettes et parfois je dansais avec un squelette ou bien allongé par terre, j’étais veillé par le même… comme autant de postures apotropaïques.
En 2009, j’exposais la série Couleurs de la Mort, Poétique de Barbie et Mickey Business. En cette même année et suite aux travaux antérieurs, je délègue à des enfants entre 3 et 12 ans, l’audace et le plaisir de « faire la nique à la Mort » devant mon objectif.
De facto, le médium photographique – dans l’acte même qui le fonde – entretient un rapport symbolique avec la mort. L’appareil photo capture un infime fragment spatio-temporel qui ne se reproduira plus, ce que Roland Barthes a nommé un « ça a été »… rappelant le croassement poético-métaphysique de « l’oiseau d’ébène », le Corbeau d’Edgar Allan Poe, répondant à l’envi aux interrogations du narrateur, sur le rebord de la fenêtre, par un « never more », un « jamais plus ».
Les prénoms de ces enfants reflètent la culture de leurs parents : Elora, Jolan, Marsile, Aleïda, Asya, Montana, Dorian, Sixtine, Jarod, Amel ; seuls Guillaume, Axel et Léonard échappent à une originalité revendiquée !
Je n’ai pas fait exprès de choisir ces modèles à cause de leurs prénoms. J’ai visé la cellule familiale dans son statut culturel et parents et enfants participent de ma sphère amicale.
D’autres parents, que j’ai approchés également et qui ne bénéficient pas d’un tel statut, ont refusé net… en lieu et place de leur progéniture, laquelle, il est vain qu’ils se le cachent, est encline au macabre ludique, tel que la mercatique contemporaine en flatte la propension.
Les enfants aiment rire de la Mort dont ils côtoient les représentations pendant Halloween, le carnaval d’automne, dans un grand nombre de films d’animation, de films « live », de séries télévisées, de jeux vidéo, de bandes dessinées et bien entendu dans les contes canoniques. Ils adorent se faire peur avec les Loups-garous, les Morts-vivants ou les Vampires. Les fêtes foraines et les parcs d’attractions les invitent à traverser les Tunnels de l’Horreur. L’imaginaire de Tim Burton irrigue le leur. Le succès planétaire de la vidéo Thriller de Mickael Jackson en son temps ou aujourd’hui des deux séquelles du film Twilight, valide mes analyses. Devenus adolescents ils adoptent parfois la mode « gothique ».
Toutefois, dans la plupart des familles, on évite de parler de la mort en général, des morts en particulier et surtout de répondre aux questions des plus jeunes portant sur le sujet. Notre société occidentale, même lorsqu’elle produit des représentations de la camarde et en joue avec, est fort éloignée de l’extraordinaire fête mexicaine del dia de los Muertos. Les 1er et 2 novembre, les familles se réunissent dans les cimetières pour y honorer leurs morts avec force Téquilla, sucreries, fleurs, chants, danses et prières. Cette coutume s’accoude à Halloween qui la précède le 31 octobre : les jeunes Mexicains déguisés ne crient pas « Trick or Treat » mais « calavera », c’est à dire « crâne » en espagnol, annonçant ainsi les deux jours qui suivent.
Dans mes images les modèles sont déguisés et ils manipulent de véritables restes humains et non leurs reproductions en plastique. Ces reliques anonymes n’ont pas vécu d’Ascension ou d’Assomption et ils sont lourdement réels dans leurs mains… Cette nouvelle série (2009) instaure des contrastes entre leurs jeunes visages, leurs postures, leurs gestuelles, leurs habits de princesses (Disney ou Barbie), de super-héros (Power Rangers, Spider Man), ou de squelette ambulant et les crânes en leurs mains, sous leurs pieds, la colonne vertébrale en trophée ou en collier, le(s) fémur(s) en pilon, en altère, les mains en broches sur un revers… Les crânes deviennent ballons, réceptacles, chapeaux, offrandes ou restent de simples crânes, memento mori interrogés par de jeunes Hamlet, de jolies « Madeleine » (non-pénitentes, celles-ci), ou bien des Minnie ou des Mickey en deuil de leur moitié. La colonne vertébrale devient trophée ou parure.
Dès la première séance de prises de vues, l’enfant est invité, à faire bouger devant lui un crâne, et les images qui en résultent sont intitulées Double – Je : on peut alors voir la tête du modèle et en flou-bougé, son double interne…et la projection de sa destinée ultime.
Les enfants photographiés par Ralph Eugene Meatyard (1925-1972) étaient en habits de ville, en revanche leurs visages étaient masqués (sorcières, monstres…). Mes modèles ne sont pas masqués à l’exception de deux d’entre eux (en Power Ranger et en Spider-Man). Mes jeunes modèles dans leurs déguisements restent des enfants baignés d’une aura d’innocence et ils affichent une grande complicité avec moi : ils jouent le jeu !
Le titre de la série Vanité de l’enfance, enfants et vanités s’inspire de celui d’une exposition Portraits de collectionneurs, collection de portraits (Christophe Bonacorsi, père de Sixtine) organisée par la galerie Domi Nostrae (Lyon) par Christine et Fabrice Tréppoz (parents de Marsile). Par Vanité de l’enfance, j’entends cette formidable innocence, cette liberté des premières années de la vie, un temps où tout semble possible, en fait tout ce que nous perdons en mûrissant, disons-le, en vieillissant. Never more, l’enfance…
La lumière qui éclaire les modèles est étale ; je n’ai pas souhaité sculpter les visages, ceux-ci ne se détachant guère des fonds plats, uniformes même lorsqu’ils sont éclairés. L’ensemble se veut graphique. Je n’ai pas cherché à imiter la photographie de mode et je cherche plutôt à détourner le portrait en studio (mes jeunes modèles ne posent pas avec des doudous mais avec des restes humains !) Les couleurs des costumes sont de teintes pastels et parfois vives, participant du monde de l’enfance. Venu du traitement de l’image argentique où je ne m’autorisais aucune manipulation dans la chambre noire à part des recadrages, je traite pareillement l’image numérique. Il y a assez d’artifices dans les costumes pour ne pas en rajouter ! Quelques images ont dû être recadrées parce que les coulisses latérales se trahissaient sur le fichier original. C’est comme cela que je travaille, c’est tout ; pour le temps qui me reste !
JEAN-BAPTISTE CARHAIX 2009-2011 : à Jolan (3 puis 4 ans), Margot (3 puis 4 ans), Elora (5 puis 6 ans), Marsile (10 ans), Asya (5 puis 6 ans), Aleïda (9 puis 10 ans), Sixtine (7 puis 8 ans), Montana (12 ans), Guillaume (9 ans), Amel (9 ans), Dorian (10 ans), Jarod (10 ans), Axel (12 ans), Léonard (5 ans), Léonce (6 ans), Maya (6 ans), Robinson (4 ans), Lola (10 ans), les enfants du XXI ème siècle et à leurs parents.